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Le comprtement de déni lors d'une agression

Champs d'étude

Psychologie cognitive, psychologie clinique

 

Thématique

Cette thématique est un peu en marge puisqu'elle concerne plus la self-defence que les arts martiaux. 


Lors d'une agression, le déni est la réaction d'une victime (ou de témoins) qui ne perçoit pas qu'une situation est une situation d'agression ou refuse de façon plus ou moins consciente de la percevoir comme telle.
Le comportement de déni le plus connu et probablement le plus étudié est le déni de grossesse.


Le déni lors d'une agression est évoqué par Jacquemart (2015) dans Neurocombat (livre 2 page 157, peut-être à un autre endroit que je n'ai pas retrouvé, et peut-être dans le livre 1 (?)), mais la lecture de l'ensemble de l'ouvrage aide à comprendre comment un asocioprédateur a la capacité à créer une situation incitant au déni).
Sa lecture m'a rappelé et permis de comprendre que j'avais vécu ce genre de situation il y a 7 ou 8 ans en tant que témoin. Ce qui est impressionnant, c'est que pendant la situation, j'ai perçu qu'il se passait quelque chose. J'ai ensuite oublié l'évènement, et c'est la lecture de Jacquemart qui m'a rappelé la situation qui n'était en fait pas "oubliée", ce qui démontre sa singularité.

 

Dans le tram, une conversation s'engage entre un quadragénaire et une jeune femme d'environ 20 ans. Il plaisante, la fait rire. Très rapidement, ils se parlent comme s'ils se connaissaient. Progressivement, la femme semble gênée. Faut-il intervenir ? Se connaissaient-ils avant ? Mais la femme ne lance pas d'appel (ni explicite, ni du regard). En fait, à la lecture de Jacquemart, je comprends qu'elle est dans un processus de repli sur elle-même, de réduction d'espace, exactement ce que cherchent les asocioprédateurs. Ca continue. La situation est malsaine, ce n'est pas de la drague même si certains aspects y ressemblent (humour, flatteries...). Faut-il intervenir ? Comment intervenir ? Les gens autour semblent n'avoir rien remarqué, ils discutent entre eux, pas un coup d'œil n'est échangé. Mon arrêt approche, si j'interviens, c'est maintenant, mais elle n'est pas en danger avec le monde autour. En lisant Jacquemart, je vois que la suite logique serait une tentative d'isolement après avoir gagné la confiance. Je descends à mon arrêt et récapitule ce qui s'est passé. Je pense que j'aurais dû intervenir mais je constate également le manque de "prises" dans leur conversation pour s'y immiscer. Tout se passe comme si un tunnel, voire une certaine forme de complicité avait été établi entre eux, avec la question récurrente : la personne souhaite-t-elle que j'intervienne ?
Après avoir lu Jacquemart, je comprends que la jeune femme a eu une réaction de déni puis que ce déni s'est combiné à du repli sur soi, ce qui explique la difficulté pour l'entourage à percevoir l'aspect problématique de la situation. Conformément à ce que dit Jacquemart, l'agresseur a su instinctivement enfermer sa victime, "l'hypnotiser" en quelque sorte.
De mon côté, j'ai également eu une réaction de déni puisque pendant toute la séquence je me suis demandé s'il s'agissait ou pas d'une situation d'agression, s'il fallait ou pas intervenir et me suis dit qu'une tentative d'agression avec autant de monde autour était peu vraisemblable. Il est vrai que même sans avoir lu Jacquemart, ma réaction aurait été différente après les campagnes récentes contre le harcèlement, ou après la sensibilisation à la self-defence.

 

Pourquoi le déni fait-il partie de notre répertoire comportemental ?

A priori, tout comportement est issu de la sélection naturelle et possède donc une qualité "adaptative", sinon, il aurait été éliminé. Pour le déni, celui-ci est parfois utilisé lors d'un deuil, éventuellement par le biais de croyances religieuses. En niant la mort de l'esprit du défunt (l'endeuillé continue de s'adresser mentalement au défunt), le déni permet à la personne en deuil d'amoindrir la douleur, de passer le cap de l'acceptation du décès, et probablement dans certains cas d'éviter une dépression réactionnelle.
Dans le cas d'une agression, la victime refuse mécaniquement (et non volontairement ou consciemment) de passer en "mode agressé", cette situation étant difficilement supportable. Le déni permet d'éviter cette situation inconfortable mais ce n'est évidemment pas adapté lorsque le danger de l'agression est bien réel. À la différence d'une agression socioaffective, ou de bande, lors de laquelle l'ambigüité ne se pose pas, un des problèmes centraux dans le cas d'agression asocioprédatrice est que l'agresseur a créé une situation dans laquelle cette agression est masquée.
Les grandes questions sont de savoir comment éviter d'entrer dans une réaction de déni non adaptée, comment reconnaitre le moment où l'on y entre, et éventuellement comment en sortir.
Si l'on reste collé aux aspects légaux, la loi n'aide pas dans ces tâches car seuls les éléments "objectifs" sont recevables pour le légiste, et la communication non verbale ne semble pas retenue comme un élément "objectif". Il faut reconnaitre que les choses ont commencé à évoluer avec la reconnaissance des délits de harcèlement qui commencent à être caractérisés et dans lequel la parole commence à être considérée comme un acte à part entière, mais cette évolution n'en est qu'à ses balbutiements.
Étant plus ou moins "formatés" à un raisonnement cartésien ou en conformité avec le droit, il est normal que l'individu "en situation" tente de se raccrocher à des indices objectifs (et leur donner plus de poids qu'aux sensations subjectives) pour basculer soit dans le déni, soit dans la réponse active.
Enfin, le comportement de déni semble aussi devoir être mis en relation avec le "Biais de Normalité" (Psychomédia, 2020) qui est un biais cognitif et qui est une tendance à croire que les choses vont se passer comme elles se sont toujours passées antérieurement. Cette tendance conduit à sous-estimer la probabilité d'occurrence d'un événement exceptionnel tel qu'une catastrophe et ses effets. Dans le cas d'une agression, "ça ne m'est jamais arrivé jusqu'à présent, ça ne va quant même pas m'arriver maintenant !".

 

Pistes de recherche

Aspects fondamentaux
Quels sont les mécanismes cognitifs (cognition froide) et émotionnels (aspects plus cliniques ou neurobiologiques) qui mènent au déni ?
Pourquoi certains individus vont répondre par le déni alors que d'autres vont réagir activement ? 
Quels sont les situations qui ont le plus de chances de mener au déni ?
Aspects appliqués
Comment apprendre à un stagiaire SD à éviter la réaction de déni ? Ce qui amène à la question :
Comment identifier une situation d'agression ?
Comment apprendre au grand-public à éviter la réaction de déni lors d'agressions ?

 

Autre illustration ?
Je pense que c'est à une forme de déni collectif que nous avons assisté récemment concernant la pandémie de covid-19. Les trois premiers cas sont déclarés en France le 24 janvier 2020 et 100 cas y sont recensés le 29 février. Mais les données épidémiologiques de Chine ou de Corée du Sud permettaient d'estimer les paramètres épidémiologiques. De façon incompréhensible ce n'est que mi-mars que la décision de confinement a été prise.
Je pense que les responsables politiques ont été effrayés par ces prévisions. Ils ont probablement reçu en parallèle, des avis les alertant sur les coûts économiques d'un confinement (peut-être aussi les coûts électoraux). Au final ils ont visiblement pratiqué une forme de déni concernant la crise qui se préparait : "Je n'y crois pas", "Il doit y avoir une erreur", "Ca ne peut pas nous arriver", "C'est pas possible"... "Si ça se passe comme ça, c'est la catastrophe... donc ça ne devrait pas se passer comme ça"...
Je pense qu'il s'agit d'un déni car il était évident dès le départ que plus on repousserait le confinement, plus celui-ci allait être long et coûteux (financièrement et en vies humaines), donc un calcul rationnel "santé publique vs économie" ne permet pas d'expliquer le délai de la prise de décision.
Coïncidence ou causalité, c'est lorsque certains parlementaires ont commencé à être contaminés que la décision a été prise (le premier député à avoir été déclaré positif au coronavirus est Jean-Luc Reitzer, le 4 mars 2020 ; il y avait 15 cas avérés à l'assemblée le jeudi 12 mars, date de l'annonce du confinement ; Sidéris, 2020 ; Vigoureux, 2020). Jusqu'à début mars, la maladie n'était censée n'être dangereuse que pour "l'autre" : les vieux et les malades. Pour les gens "normaux", elle se résumait à une "mauvaise grippe". De plus, les expériences antérieures semblaient donner raison au "Ca ne peut pas nous arriver" : le SIDA est, sauf exception, réservé à ceux qui prennent des risques, Ebola, SRAS, H1N1 ont des maladies qui sont restées chez les autres et ont été jugulés rapidement, et dans un autre registre, l'ESB a également été contrôlé avant la catastrophe... Mon avis est que le fait que des gens "semblables aux décideurs" aient été touchés, a aidé à la prise de conscience : sortir du déni.
Enfin, un autre facteur qui a pu peser est la difficulté à raisonner en termes logarithmiques qui caractérise la propagation des virus, plutôt qu'en termes linéaires, et avec le "modèle de la croissance", plutôt qu'avec le modèle "taux de base" (Marketing Mania).

 

 

 

Bibliographie


Jacquemart C. 2015. Neurocombat livre 2. Fusion Froide, Dole.
Vigoureux C. (18-03-2020). Coronavirus : qui veut prendre la place d’un député? L'Opinion :
     https://www.lopinion.fr/edition/politique/coronavirus-qui-veut-prendre-place-d-depute-214722
Sidéris F. (06-03-2020) Coronavirus : le député Jean-Luc Reitzer toujours hospitalisé, 4 nouveaux signalements à l'Assemblée. LCI :
     https://www.lci.fr/sante/coronavirus-le-depute-jean-luc-reitzer-toujours-hospitalise-4-nouveaux-signalements-a-l-assemblee-2147284.html
Berger D, Chaverou E (22-03-2020) Covid-19 : quand et comment la France a réagi (ou pas). France Culture.
     https://www.franceculture.fr/politique/covid-19-quand-et-comment-la-france-a-reagi-ou-pas
Marketing Mania ? (22-03-2020) Biais de normalité : Pourquoi on n’a pas vu venir le Coronavirus. Marketing Mania (chaine Youtube).
     https://www.youtube.com/watch?v=hyEKAMDyECo
3Blue1Brown ? (08-03-2020) Exponential growth and epidemics. 3Blue1Brown (chaine Youtube).
     https://www.youtube.com/watch?v=Kas0tIxDvrg
Psychomédia (16-03-2020) Définition: Biais de normalité. Psychomédia.
     http://www.psychomedia.qc.ca/lexique/definition/biais-de-normalite

 



09/04/2020
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